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Diagonale des fous 2018 : Une symphonie inachevée

Il y a deux ans, après avoir passé la ligne d’arrivée du Trail de Bourbon (111 km et 6433 m de dénivelé positif), sur cette même Île de la Réunion, je me suis juré de ne jamais faire la Diagonale des fous. Même si la course s’était bien passée, les sentiers réunionnais étaient trop techniques à mon goût.

Mercredi 17 octobre 2018
Me voici de retour à Saint-Pierre, dans le sud de l’île, afin de retirer mon dossard pour… la Diagonale des fous. Après une saison de trail marquée par plusieurs petites blessures et un manque criant d’envie, je suis loin d’être en pleine confiance. Et pourtant, j’ai réellement hâte de prendre le départ de cette course et je ferai tout mon possible pour la terminer. Je pense avoir les capacités physiques pour y parvenir. Reste à voir si j’en aurai également les ressources mentales !

Jeudi 18 octobre 2018
La navette en provenance de Saint-Denis, où je suis hébergé par ma famille, me dépose à 18h20 à Saint-Pierre, au bord de l’océan, non loin du départ de la course. Celui-ci ayant lieu à 22 heures, j’ai encore pas mal de temps devant moi. Je m’installe donc tranquillement près d’un skate park afin de manger les pâtes à la bolognaise que mon oncle m’a préparées tout en admirant le coucher de soleil sur l’océan. Je me repose ensuite un peu avant de rejoindre la zone de départ. 22h00. C’est parti : accompagné de quelque 2600 autres coureurs, je m’élance sur le boulevard principal de la ville, qui longe la mer sur plusieurs kilomètres. Une impressionnante haie constituée de milliers de spectateurs survoltés nous porte durant plusieurs dizaines de minutes. Je profite d’autant plus de ce moment que je sais que pratiquement tout le reste de la course se fera loin de la civilisation. Après environ sept kilomètres de bitume, nous passons sur des sentiers entre les champs de canne à sucre. Bien que le peloton de coureurs soit encore dense, il n’y a déjà quasiment plus de spectateurs, et nous avançons dans le plus grand silence. Quel contraste avec ce que nous avons vécu à Saint-Pierre ! Je passe le premier poste de ravitaillement, Domaine Vidot, après un peu moins de 15 kilomètres. N’ayant que très peu bu depuis le départ, je ne prends pas la peine de m’y arrêter. Jusqu’ici, la montée est relativement facile. Elle devrait le rester jusqu’au troisième poste de ravitaillement, à une quarantaine de kilomètres du départ. Malgré quelques bouchons, tout se passe globalement bien jusqu’au petit matin : j’atteins le poste de Mare à boue (après 49 kilomètres de course) avec un peu moins de trois heures d’avance sur la barrière horaire. Je me repose alors quelques minutes pour manger une assiette de pâtes, avant de repartir en direction de Cilaos, qui sera le premier gros poste de la course.

Le parcours, qui ne présentait pour l’instant pas de réelles difficultés, se corse ensuite sur le Coteau Kerveguen, avec une longue montée en forêt (en partie dans la boue) puis une descente interminable et technique dans laquelle je laisse quelques plumes. Autant dire que j’attends Cilaos avec impatience ! C’est finalement aux alentours de 13 heures que je pointe à Cilaos, après 65 kilomètres. Je récupère le sac de vêtements que j’ai déposé hier au départ puis prends le temps de me doucher avant d’enfiler des habits propres (et surtout secs !), de changer de chaussettes et de manger une assiette de coquillettes. Je repars du poste après une cinquantaine de minutes, requinqué et prêt à affronter la montée du col du Taïbit, qui va nous mener à 2142 m d’altitude. Comme prévu, l’ascension est longue et fatigante, mais heureusement assez peu technique, tout comme la descente qui s’ensuit. J’aurais bien pris quelques photos, mais d’épais nuages nous empêchent de voir quoi que ce soit ! J’arrive peu après 18 heures à Marla, dans le magnifique cirque de Mafate, avec une avance confortable de 5h30 sur la barrière horaire. Après 77,8 kilomètres de course, je me sens encore relativement bien : les jambes sont évidemment fatiguées, mais aucune douleur localisée ne vient ternir le tableau. Après un petit quart d’heure de pause, je repars donc pour plusieurs dizaines de kilomètres dans le cirque de Mafate, où le parcours alternera sans cesse montées et descentes. Je cours alors en compagnie d’une dizaine d’autres participants, avec qui je discute tout en avançant à un bon rythme.

C’est après 87 kilomètres de course que je m’accorde une seconde grosse pause, à l’entrée du Sentier Scout, où je retrouve ma famille, qui m’a apporté des vêtements secs ainsi qu’à manger et à boire. Cette halte me fait le plus grand bien : je raconte mon périple tout en obtenant des informations sur mon classement. J’apprends en outre que François D’Haene et Benoît Girondel ont gagné la course main dans la main en un temps record. Après une demi-heure de pause, je me lance à l’assaut du Sentier Scout, revigoré et prêt à passer une seconde nuit sur les sentiers. L’idée est de dormir un peu au poste de ravitaillement d’Ilet à Bourse, puis d’attaquer la terrible montée du Maïdo au petit jour, car je ne veux pas me risquer à le faire dans l’obscurité. De plus, cela me permettra de profiter du lever de soleil, qui devrait m’offrir un panorama grandiose depuis là-haut. Le problème est que tout ne se passe pas comme prévu : même si elle ne présente pas vraiment de difficultés, la descente du Sentier Scout, dans la forêt, prend énormément de temps, et ma capacité de concentration ne cesse de diminuer, si bien que je bute à plusieurs reprises sur des pierres, manquant de tomber. Je décide donc de m’allonger sur le bord du sentier et règle mon réveil de façon à ce qu’il sonne quatre heures plus tard, ce qui me laissera encore suffisamment de temps pour arriver reposé à Ilet à Bourse avant la barrière horaire. Problème : malgré la fatigue bien présente, je ne parviens pas à trouver le sommeil et repars donc après une demi-heure. Une fois arrivé au ravitaillement, je constate que je n’aurais pas non plus pu dormir ici, le poste étant constitué d’une simple tente. Je continue donc mon chemin vers Grand Place les Bas, quelques kilomètres plus loin, où je parle à une infirmière de mes petites douleurs sous les deux pieds. Elle m’explique que j’ai effectivement une ampoule sous le pied droit (qu’elle me perce) ainsi qu’un début d’ampoule à l’autre pied, et me pose un bandage aux endroits concernés. Sur ses conseils, je change ensuite de chaussettes, avant de repartir en direction de Roche Plate, ultime étape avant la montée du Maïdo, qui constituera la dernière grosse difficulté du parcours.

La section qui s’ensuit s’avère être un véritable calvaire. Cela fait quasiment 48 heures que je n’ai pas dormi (je n’ai en effet pas réussi à faire une sieste avant le départ), et j’ai de plus en plus de mal à faire la distinction entre la réalité et ma perception de celle-ci. Je prends donc le moins de risques possible et n’avance plus qu’au ralenti. Alors que je dois traverser la Rivière des galets en passant sur des pierres, je perds l’équilibre et me retrouve les deux pieds dans l’eau. Super… Il ne me reste donc plus qu’à remettre les chaussettes enlevées quelques kilomètres plus tôt si je ne veux pas avoir d’autres ampoules ! Je poursuis ensuite ma route vers Roche Plate, mais finis par m’asseoir sur une pierre, épuisé. Quand je rouvre les yeux quelques heures plus tard, complètement hagard, je constate que je suis en plein milieu du cirque de Mafate, au coeur d’un panorama exceptionnel. Je vois passer de nombreux coureurs, mais je ne sais pas où je me trouve, et encore moins quel jour nous sommes. Samedi ? Dimanche ? Ai-je déjà gravi le Maïdo ? C’est finalement un SMS d’un ami coureur qui va me faire sortir de ma torpeur : il m’encourage avant la montée du Maïdo. J’en déduis donc que je n’y suis toujours pas ! Mon oncle m’appelle cinq minutes plus tard : il suit ma course par Internet et s’étonne que je n’aie pas pointé depuis un certain temps. Je lui demande où et quand j’ai effectué le dernier pointage et me renseigne sur les barrières horaires.

Il apparaît qu’il est 9h35 et que je suis à une demi-heure de Roche Plate, que je dois impérativement avoir passé avant 11h00. Je suis encore dans les temps, mais il ne va pas falloir traîner en route. Je me remets donc en chemin et pointe à Roche Plate, après 106 km de course, vers 10 heures. Le temps de faire le plein d’eau et de manger un peu, et je repars en direction du Maïdo. Bien que moins longue que celle du Taïbit, l’ascension du Maïdo est bien plus technique et nécessite un effort important. Heureusement, contrairement à octobre 2016, le ciel est relativement couvert, ce qui rend la montée un peu plus supportable. Une fois en haut, nous sommes accueillis par des dizaines de spectateurs déchaînés qui nous encouragent bruyamment. Comme il y a deux ans, j’éclate alors en sanglots, à la fois épuisé et soulagé d’en avoir fini avec cette montée. Sauf que, cette fois, je n’envisage pas d’abandonner : maintenant que les principales difficultés du parcours sont derrière moi, il ne me reste plus qu’à terminer tranquillement sur un itinéraire que je connais déjà.

Avant d’attaquer les 13 km de descente vers Sans-Souci, je prends le temps de m’asseoir un peu et de savourer un bol de riz bien chaud. Tout en mangeant, je remarque la présence d’un poste médical. J’hésite à m’y rendre pour faire une nouvelle fois soigner mes pieds, mais y renonce finalement en me disant qu’il est plus judicieux d’attendre Sans-Souci, où il y aura non seulement des infirmières, mais aussi des podologues et des kinés. Autant, il y a deux ans, cette partie du parcours m’avait redonné de la motivation en me permettant de courir de nouveau, autant, cette fois, je ne peux la faire qu’en marchant, et à vitesse de plus en plus réduite. En effet, le fait de devoir sans cesse atterrir sur l’avant du pied (donc sur mes ampoules) a pour conséquence d’augmenter la douleur, si bien que j’arrive au poste de ravitaillement en boitant, bien plus tard que prévu : il est 18h45 et il ne reste que 45 minutes avant la fermeture du poste à 19h30. D’ici là, je dois récupérer le sac que j’ai déposé au départ de la course avant-hier, faire soigner mes ampoules et manger un peu. Une gentille bénévole me propose une crêpe au sucre, que j’accepte avec plaisir, de même qu’un thé et un verre d’eau. Après une seconde crêpe (au chocolat, cette fois), je prends mon courage à deux mains et me dirige vers la tente des podologues ; malheureusement, il y a beaucoup de monde devant moi, et je n’aurai jamais le temps de passer avant 19h30. Je repars donc en direction du prochain point de contrôle, Chemin Ratineau, mais chaque pas que je dois faire (y compris sur la route) est un calvaire : mes ampoules (une bonne dizaine, comme je le découvrirai plus tard) me contraignent à marcher très lentement, si bien que je ne tarde pas à être rattrapé par les « serre-files », qui s’assurent qu’aucun coureur ne reste sur les sentiers.

Je dois bientôt me rendre à l’évidence : je n’arriverai jamais à Chemin Ratineau à temps.
Je n’ai donc d’autre choix que de répondre par l’affirmative lorsqu’ils me demandent si j’abandonne.

Le marathonien blessé
 

Commentaires 8

PP78 le jeudi 25 octobre 2018 18:29

Bon , tu sais bien que ce n'est pas ma tasse de thé (enfin , ici, de rhum !) mais quelle aventure ... C'est rageant d'être encore bien et d'abandonner pour des ampoules ( comme déjà dit, c'était ma crainte à Millau....). Te connaissant , je suis certain que tu y retourneras et iras jusqu'au bout ! Mais déjà , ce que tu as fait...autre chose qu'un "p'tit 100 bornes" : bravo.

Bon , tu sais bien que ce n'est pas ma tasse de thé (enfin , ici, de rhum !) mais quelle aventure ... C'est rageant d'être encore bien et d'abandonner pour des ampoules ( comme déjà dit, c'était ma crainte à Millau....). Te connaissant , je suis certain que tu y retourneras et iras jusqu'au bout ! Mais déjà , ce que tu as fait...autre chose qu'un "p'tit 100 bornes" : bravo.
DingDong le vendredi 26 octobre 2018 04:26

Merci PP

Merci PP :)
Runnindoum le vendredi 26 octobre 2018 06:40

Waow, super récit !
J'étais persuadé à mi-lecture que tu allais au bout... malgré le titre, je voyais La Redoute approcher ! J'ai été déçu pour toi... Mais tu as montré que tu as tout ce qu'il faut pour être finisher lors de ta prochaine tentative, c'est tout ce que je te souhaite !
Un grand bravo pour cette traversée même inachevée, tu as le sang du Fou !

Waow, super récit ! J'étais persuadé à mi-lecture que tu allais au bout... malgré le titre, je voyais La Redoute approcher ! J'ai été déçu pour toi... Mais tu as montré que tu as tout ce qu'il faut pour être finisher lors de ta prochaine tentative, c'est tout ce que je te souhaite ! Un grand bravo pour cette traversée même inachevée, tu as le sang du Fou !
DingDong le vendredi 26 octobre 2018 09:27

Merci Doumé ! C'est rageant, mais je ne me ferai pas avoir deux fois... La prochaine fois devrait être la bonne !

Merci Doumé ! C'est rageant, mais je ne me ferai pas avoir deux fois... La prochaine fois devrait être la bonne !
Aïolirun le mercredi 31 octobre 2018 18:53

Que de noms qui font rêver ! Ton chemin ne t'as pas mené à la ligne d'arrivée mais je sens malgré tout un accomplissement dans ton récit, bravo ! Et maintenant tu y retourneras ?

Que de noms qui font rêver ! Ton chemin ne t'as pas mené à la ligne d'arrivée mais je sens malgré tout un accomplissement dans ton récit, bravo ! Et maintenant tu y retourneras ?
DingDong le mercredi 31 octobre 2018 20:03

Merci ! Disons que ça a quand même été une expérience hors du commun et positive, même si je n'ai pas pu terminer. J'avais dit que je n'y retournerais pas, mais il y a quand même de fortes chances pour que je me laisse tenter à nouveau en 2020 ou 2021

Merci ! Disons que ça a quand même été une expérience hors du commun et positive, même si je n'ai pas pu terminer. J'avais dit que je n'y retournerais pas, mais il y a quand même de fortes chances pour que je me laisse tenter à nouveau en 2020 ou 2021 ;)
Satan lucifer le jeudi 1 novembre 2018 07:39

Jolie histoire.
Si tu t'aligne en 2020 on sera déjà 2 sur la ligne de départ ^^.

Jolie histoire. Si tu t'aligne en 2020 on sera déjà 2 sur la ligne de départ ^^.
DingDong le jeudi 1 novembre 2018 20:29

Merci ! En espérant te rencontrer à cette occasion

Merci ! En espérant te rencontrer à cette occasion :)
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jeudi 28 mars 2024

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